Retour sur l'exploit des Soul Flyers : l'envers du décor par Fred Fugen (interview)
Interview exclusive avec le wingsuiter et base jumper Fred Fugen, l’un des Soul Flyers !
Historique, grandiose, exceptionnel… Il n’y pas assez de mots pour décrire la performance réalisée le 13 octobre 2017 par les Soul Flyers Fred Fugen et Vince Reffet, qui sont rentrés en wingsuit dans un avion en plein vol, en s’élançant en base jump depuis un sommet montagneux, la Jungfrau (Alpes bernoises). A la clé, un buzz vertigineux depuis fin novembre et la diffusion de la vidéo sur le Net, un buzz bien mérité tant la prouesse technique est colossale. Parachutiste depuis 1996 et base jumper depuis 2000, Fred Fugen (38 ans) connaît son acolyte Vince depuis 15 ans, et tous deux ont déjà réalisé des projets complètement barrés. Saut en freefly dans les Dolomites, jump depuis la plus haute tour du monde à Dubaï, vol avec la Patrouille de France en Jetman… Les Soul Flyers sont des maîtres de leur art, et ont mis la barre encore plus haut avec cette World First incroyable : rentrer dans un avion en plein vol à 140km/h, depuis une falaise. Icare n’a qu’à bien se tenir… Le Blog Manawa vous fait pénétrer dans les coulisses de cet exploit, avec une interview exclusive de Fred Fugen !
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Fred, votre dernier exploit en tant que Soul Flyers a dépassé la barre des 150 millions de vues sur Internet, TF1 vous a consacré un sujet de 3 minutes, t’attendais-tu à un tel buzz ? Et selon toi, pourquoi cette prouesse a autant marché auprès du grand public ?
Non, on ne pouvait pas s’attendre à un tel buzz, c’est vraiment un truc de fou… En l’espace de 24 heures, on avait fait un live sur une télé américaine, c’est passé aux infos en Australie, en Amérique du Sud… ça a vraiment fait le tour du monde ! Je pense que c’est une performance que les gens peuvent facilement comprendre : des mecs sautent de la montagne, ils rentrent dans l’avion en vol, ce qui ne s’était jamais fait. Cela a rappelé à certains la cascade de James Bond dans Goldeneye, ça a parlé aux gens et ça a plu ! C’est vraiment probablement le projet le plus intense que l’on ait eu à faire, en termes notamment d’engagement mental. Cela a été quand même dur.
.Comment avez-vous eu l’idée tous les deux d’un tel saut ?
L’idée nous est venue d’un pionnier de la wingsuit, l’inventeur des wingsuits modernes, Patrick de Gayardon. En 1997, alors qu’il était quasiment le seul à voler en wingsuit, il avait eu cette idée de sauter d’un avion et de re-rentrer dans l’avion en vol. J’avais eu l’occasion de le rencontrer alors qu’il s’entraînait pour réaliser cette performance, j’avais 18 ans… C’était super impressionnant ! Il a eu un accident mortel en 1998, Patrick a marqué le monde du parachutisme et était l’une de nos idoles. Avec Vince, on s’était toujours dit : « un jour ça serait cool de le refaire, mais à deux. » L’idée est restée dans un coin de notre tête. Puis, l’an dernier, nous avons rencontré Philippe Bouvier, le pilote du Pilatus (le fameux avion dans la vidéo, ndlr) et nous avons réussi dés les premiers vols à voler en formation, super près. On s’est alors dit que nous allions pouvoir mener à bien notre projet, à savoir rentrer dans l’avion en vol. C’était l’idée de départ. Un matin du mois de mars, Vince s’est réveillé et m’a dit : « j’ai fait un rêve, rentrons dans l’avion à partir d’une falaise ! ». Et là je me suis dit : c’est chaud (rire) ! Nous avons étudié la question, nous en avons discuté avec les bonnes personnes, et on s’est rendu compte que c’était faisable.
.Pourquoi avoir choisi le sommet de la Jungfrau pour s’élancer en wingsuit ? Pourquoi cette montagne ?
Pour réaliser ce projet, il fallait choisir un vol long en wingsuit (le vol a duré près de trois minutes, ndlr). Nous avions pensé au départ à l’Aiguille du Midi, à Cham’, mais c’était compliqué d’organiser quelque chose là-bas. On n’avait jamais sauté de la Jungfrau mais on avait entendu dire que c’était le plus grand saut en wingsuit du monde, avec 3 200m de dénivelé… Début juillet, nous sommes allés faire quelques repérages et des relevés GPS. Le décor était exceptionnel, la forme de la montagne correspondait vraiment à ce dont nous avions besoin. Nous avions une minute pour rentrer dans l’avion, et on savait que si l’on se ratait, on avait largement le temps de se rétablir, de reprendre le vol et de voler jusqu’à la sortie de la vallée. Nous avons compris que la Jungfrau serait l’endroit parfait !
.C’est une performance qui a nécessité plusieurs mois de préparation en Catalogne, peux-tu nous en dire plus ? Comment s’est déroulé concrètement l’entraînement ?
Nous avons vraiment commencé à nous entraîner avec Philippe Bouvier en juin 2017, nous avons effectué trois mois d’entraînement intensif. L’objectif n’était pas seulement de rentrer dans l’avion, mais aussi de voler en formation, de faire des figures… Ensuite, il a fallu s’entraîner à rentrer à proprement parler dans l’avion. On a fait deux sessions training, nos tentatives ont échoué lors de la première journée, puis lors de la deuxième journée je suis rentré deux fois dans l’avion et Vince non. On a fait un break de deux-trois semaines puis nous avons sauté de nouveau en Espagne, et là cela a super bien fonctionné. Première journée, nous rentrons sept fois chacun et deuxième journée, deux fois chacun. Lors de cette session, nous avons fait quatre sauts en sautant de l’avion et en y re-rentrant, c’était top ! Fin août, nous étions prêts et nous sommes allés en Suisse mi-septembre pour les premières tentatives, avec des conditions météo assez exécrables. Vince est rentré dans l’avion et pas moi, le projet n’était donc pas finalisé. Nous y sommes donc retournés et, le jour J, les conditions étaient excellentes. Nous avons tous les deux ratés la porte sur le premier vol, mais deux heures après nous étions de retour au sommet, l’avion est arrivé… et ça l’a fait !
.Il vous a fallu des semaines de travail pour maîtriser le geste parfait et rentrer dans l’avion en plein vol, à 140km/h. Qu’est ce qui fut le plus difficile ?
Techniquement, il fallait comprendre la trajectoire, sur mes deux premières tentatives je suis arrivé avec trop de vitesse horizontale, ce n’était pas assez clean par rapport à nos attentes. Cela nous a pris quelques essais pour définir la bonne trajectoire, maîtriser le mouvement. Il a fallu également être au top mentalement, pour être sûrs de ne pas se blesser au moment de franchir la porte. A cette vitesse-là, elle ne paraît pas si grande que ça ! Cette performance fut une combinaison de plusieurs challenges, de petites choses qui mises bout à bout rendaient le truc technique et mentalement assez épuisant…
.La communication avec le pilote de l’avion a été essentielle à la réussite du projet, vous étiez équipés de radios et de micros pour vous coordonner c’est ça ?
Oui voilà, nous avions des systèmes de radios VHS qui permettaient de communiquer avec le pilote, on pouvait se parler lors de tous nos vols d’entraînement. C’est un système qui avait été développé pour le projet Jetman avec Yves Rossy. Les radios étaient essentielles pour se coordonner, pour se donner les timings, pour tout ! C’est vraiment un travail d’équipe, en l’occurrence un travail avec Philippe et Yves Rossy, l’inventeur du Jetman, qui était copilote lors de ce saut. C’est lui qui nous a donné le « Go » pour sauter, tandis que Philippe était plus concentré sur les instruments et le pilotage de la machine. Yves avait un regard extérieur, il a donné à Philippe des points de repère sur la trajectoire, il nous a donné le timing pour sauter, nous a annoncé les chronos et les moments où l’on pouvait rentrer et ne pas rentrer… On est deux à être rentrés dans l’avion, mais on était quatre personnes en l’air. Sans Philippe et Yves ça aurait été beaucoup plus compliqué, voire impossible.
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Quels aménagements l’avion a t-il subi dans le cadre de votre saut historique ?
On a déjà dû démonter la porte coulissante, démonter une barre verticale qui est utilisée comme protection pour les sauts en parachute, démonter les marche-pieds, et puis ensuite il a fallu tout protéger. On a acheté des matelas qu’on a taillé à la bonne forme, qu’on a fixés sur les parois verticales, sur le sol évidemment, nous avons fixé des mousses sur l’encadrement de la porte… Nous avons utilisé des kilos et des kilos de gaffer tape ! Ca nous a pris environ deux heures de boulot pour préparer l’avion avant le saut, avec les mécanos de la drop zone et les pilotes.
.On sait que ce saut n’a pas coûté trop cher (on parle de 200 000 €) mais qui l’a financé ?
C’est Red Bull qui a entièrement financé le projet “A door in the sky”.
.Vous leur avez présenté votre projet et ils vous ont dit banco ?
Oui voilà ! Au départ on leur a parlé de l’idée de voler avec l’avion, avant même que l’on ait donc l’idée de sauter de la montagne. Ils avaient trouvé ça cool et quand Vince a eu l’idée de faire le saut de base jump depuis la falaise, ils ont trouvé ça vraiment bien (sourire).
.Cela fait un an que l’on n’entend plus parler du Jetman, qu’est ce qui se passe ?
Le projet appartient à Dubaï, ils l’ont racheté en 2014. Pour des raisons de gestion de la société à Dubaï, ils ont décidé de mettre le projet en stand-by. Le dernier vol que l’on a fait avec Jetman était en octobre 2016, avec la Patrouille de France. On espère reprendre bientôt mais ce n’est pas une décision qui nous appartient.
.Qu’est ce qui vous avez ressenti lors du tournage de la vidéo, à votre troisième tentative, lorsque vous rentrez tous deux dans cet avion ?
On ressent beaucoup de joie, car on a pu partager cela aussi avec tous les gens qui étaient autour de nous : les deux pilotes dans l’avion, les gars de la prod’ qui nous avaient suivis tout au long des entraînements, les gars de Red Bull qui étaient avec nous… Encore une fois, c’était vraiment un travail d’équipe, tout le monde était content, c’était vraiment énorme ! Nous avons ressenti un gros soulagement car on a travaillé sur ce projet pendant plusieurs mois, la pression est montée car le saut était technique et engagé. Il fallait gérer cette pression et se concentrer sur les points importants, pour réaliser un mouvement que finalement, tu sais faire, on s’y était entraînés. Au moment où l’on est rentrés, cette pression est redescendue d’un seul coup, il y avait beaucoup d’émotion !
.Vos prochains projets avec Vince ? Quels sont vos envies et vos rêves ?
On en a plusieurs ça c’est sûr, mais avec l’évolution du matériel et des techniques de vol, on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve. Si l’on nous avait dit il y a quelques années que nous volerions avec la Patrouille de France, on ne l’aurait pas cru ! On a toujours des idées et des endroits de la Terre sur lesquels on a envie de voler, certaines montagnes et certains paysages t’inspirent forcément… Il y a déjà des petits tournages prévus pour l’année prochaine, c’est cool !
.Le mot de la fin ?
Je remercie forcément Philippe Bouvier, sans qui rien n’aurait été possible, nous étions coéquipiers tout au long de l’année et ce fut vraiment sympa de voler avec lui. Merci à Yves Rossy qui s’est investi pleinement et qui nous a permis d’atteindre notre objectif, il a été d’un soutien énorme notamment dans les vols en montagne. Merci aux sponsors, Red Bull ne nous force jamais à faire quoi que ce soit, c’est nous qui trouvons les idées. Il y a eu des moments difficiles dans ce projet, des moments de doute, Olivier Guiraud (notre Athletes Manager chez Red Bull) a toujours cru en nous, il nous a soutenu à fond… Et un grand merci à toute l’équipe, notamment la prod’ de Supersize Films, qui a fait en sorte que ce projet se réalise !
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